Prise en charge du patient cirrhotique aux urgences




Prise en charge du patient cirrhotique aux urgences


Je vais parler sur cet article de la décompensation oedémato-ascitique. Si vous souhaitez un article traitant des autres complications de la cirrhose,  le bilan de découverte et les étiologies, n’hésitez pas à nous en faire part.

En 2017, 200 000 personnes étaient concernées. C’est pour cela, qu’il faut être à l’aise avec cette pathologie et avoir quelques notions pour la prise en charge aux urgences ou au cabinet.


I)              Rappels

La cirrhose est une affection irréversible et diffuse du foie. Cette affection est caractérisée par une destruction de l’architecture du foie par de la fibrose et des nodules de régénération. Il existe donc deux conséquences :
-       insuffisance hépato-cellulaire : c’est à dire une altération de la fonction hépatique pour l’élimination des toxines, la production de la bile, des facteurs essentiels à la coagulation ce qui se traduit par un bilan hépatique perturbé, une hyperbilirubinémie, une diminution du TP ainsi que du Facteur V (reflet de la fonction hépatique).
-       hypertension portale par bloc intra hépatique sur le système porte et donc augmentation des résistances intra hépatiques à l’origine d’une vasodilatation de la circulation en amont du système porte. Tout cela entraîne une augmentation de la pression oncotique et une activation du SRAA à l’origine de l’ascite, d’une splénomégalie (entraînant un hypersplénisme donc une thrombopénie ++, leucopénie, anémie) et d’une circulation veineuse collatérale.

La gravité de la cirrhose est appréciée par le score de CHILD que vous connaissez tous.
Pour rappel, le moyen mnémotechnique permettant de retrouver les paramètres nécessaires à ce score est TABAC, facile à retenir car c’est addiction souvent intriquée à celle de l’alcool.

TP
Ascite
Bilirubine
Albumine
Cerveau pour l’encéphalopathie hépatique

Le stade A est un stade compensé alors que les stades B et C sont des stades décompensés.
Il existe également le score de MELD qui permet d’évaluer la gravité et la possibilité de greffe hépatique.

Les complications de la cirrhose sont directement liées à ces deux mécanismes :
- varices oesophagiennes +/- rupture entraînant une hémorragie digestive
- ascite, oedèmes par rétention hydrosodée
- encéphalopathie hépatique par défaut d’élimination des toxines par le foie (en particulier ammoniac)
- carcinome hépato-cellulaire


II)            Décompensation oedémato-ascitique.

Je vais essayer d’aller à l’essentiel.

1)    Diagnostic

L’ascite

Le diagnostic de l’ascite est clinique.
N’oubliez pas de demander le poids du patient ! S’il a pris plusieurs kilos en quelques jours ce n’est sûrement pas parce qu’il a mangé trop de Mac Do.

L’examen clinique retrouvera :
- d’autres signes d’hypertension portale : circulation veineuse collatérale, +/- splénomégalie mais pas facile à examiner en cas d’ascite
- des signes d’insuffisance hépato-cellulaire : angiomes stellaires, leuconychie, ictère, hippocratisme digital, gynécomastie chez l’homme.

L’ascite va se confirmer cliniquement par :
- Inspection : augmentation du volume abdominal, abdomen distendu
- Palpation : on retrouve le signe du flot
- Percussion : matité déclive et latérale avec un tympanisme péri ombilical

Lorsque l’ascite est importante, elle peut avoir un retentissement respiratoire (dyspnée, épanchement pleural), digestif (nausées, vomissements) ou mécanique par mise en tension de hernie.

Les oedèmes

L’ascite est souvent associée à des oedèmes des membres inférieurs (ou plus haut encore) blancs, mous, indolore, prenant le godet.

2)    Etiologies à évoquer


Toute décompensation oedémato-ascitique doit faire évoquer une liste de facteurs déclenchants à toujours rechercher !


Ecarts de régime (consommation de sel ou d’alcool) & malobservance des traitements diurétiques

Ce sont les deux premières choses à rechercher avant d’évoquer tout le reste. En effet, un patient cirrhotique qui ne respecte pas les mesures hygiéno-diététiques  va décompenser sa cirrhose. « Les frites c’est trop bon » « Je dois faire les frites de Pâques » ou « Oh non Docteur je ne bois plus d’alcool du tout, juste une bière ou 2 de temps en temps » véridique….
Il y a aussi la mauvaise prise du traitement diurétique.
Un rappel et une éducation du patient sont alors nécessaires.


Une infection 

Toute infection dont l’infection de liquide d’ascite est à rechercher. Le patient cirrhotique étant immunodéprimé, il peut être pauci-symptomatique et uniquement décompenser sa cirrhose.

Par exemple, petite anecdote… étant en gastro-entérologie en ce moment, nous avons accueilli un patient suivi depuis 2012 pour sa première décompensation oedémato-ascitique. Nous avons réalisé tout le bilan, mais nous n’avions pas de point d’appel franc. Au bout de 4 jours d’hospitalisation, le patient a présenté des signes respiratoires d’aggravation rapide … il s’est avéré qu’il était COVID et malheureusement nous n’avons pas pu le détecter avant car il ne présentait aucun symptôme pouvant nous le faire évoquer jusqu’à ce qu’il s’aggrave brutalement.

L’infection de liquide d’ascite doit toujours être recherchée car peut être grave. Elle peut être révélée par de l’ascite bien sûr, des douleurs abdominales, des diarrhées, de la fièvre, une encéphalopathie hépatique. Une bactériémie est souvent associée par translocation digestive des germes.

Un saignement

Toujours rechercher l’hémorragie digestive haute (hématémèse) ou basse (méléna, rectorragie)

Un carcinome hépato-cellulaire

Malheureusement, un grand nombre de patients se voient diagnostiquer un CHC lors d’une première poussée d’ascite.

La thrombose porte

Fréquente chez les patients atteints de cirrhose, pouvant être suspectée devant une douleur abdominale.


3)    Bilan à faire aux urgences

En réfléchissant par rapport aux étiologies évoquées :

- Bilan biologique standard dont les paramètres permettant de calculer le score de CHILD et MELD (NFS, TP, INR, Iono, créat, CRP, bilan hépatique, albumine)

- Bilan infectieux +++ : ECBU, Radio de thorax, hémocultures systématiques car en effet les patients cirrhotiques sont immunodéprimés et peuvent vite s’aggraver en développant une bactériémie

- Échographie abdominale pour recherche d’ascite si peut évident cliniquement, mais elle n’est pas urgente. Elle sera faire une fois hospitalisé en gastroentérologie pour rechercher du CHC ou thrombose porte. Si l’échographie n’est pas contributive, on peut réaliser un scanner abdominal injecté à condition que la fonction rénale soit correcte.

- Ponction d’ascite : Indispensable dans la décompensation oedémato-ascitique, et le patient est souvent reconnaissant de ce geste car soulagé après la ponction.
Je vais développer cette partie juste en dessous pour vous expliquer la ponction d’ascite si vous n’en avez jamais fait.
Aux urgences, la ponction exploratrice suffit c’est à dire maximum 4L ou juste avec une seringue permettant d’avoir des analyses du liquide d’ascite avant d’instaurer des antibiotiques. Souvent, le patient arrive dans le service de gastro déjà sous antibiotique mais non ponctionné ce qui est dommage …

4)    Ponction d’ascite

C’est un geste rapide qui permet de faire des prélèvements mais surtout de soulager le patient.  Et c’est surtout un geste systématique devant toute poussée d’ascite +++.
Il n’existe pas de contre indication, même pas les troubles de l’hémostase, la seule étant le DOUTE. Ce doute peut être levé par la réalisation d’une échographie abdominale.



Voici ce que vous verriez en échographie.

Voici les étapes :

1- Préparer le matériel : résumé en image, ce sera plus parlant qu’une liste. Photo prise par moi-même juste avant une ponction.



2- Bien installer et examiner le patient, rechercher la matité, la voussure pour savoir où ponctionner
En théorie, la ponction se fait au 2 tiers/ 1 tiers de la ligne reliant l’ombilic à l’épine iliaque antéro supérieure. A gauche +++, les anses digestives ont moins de chance d’être touchées pendant la ponction car plus basses et plus postérieures.



3- Désinfection de la zone à ponctionner
4- Préparation du matériel prêt à être utilisé, sauf si vous pouvez avoir un assistant qui vous donnera le matériel au fur et à mesure ;)
5- Lavage des mains
6- Mettre les gants stériles et installer le champ troué au niveau de la zone à ponctionner
7- Préparer l’aiguille, biseau vers le haut, et y aller d’un coup après avoir désinfecté une nouvelle fois de manière stérile
8- Prélever le liquide dans la seringue afin de le séparer dans les différents tubes envoyés en analyse puis laisser couler par la tubulure soit dans une poche soit dans un pot. 

En cas de ponction exploratrice (à la différence d’évacuatrice où le but est de soulager les patients dans un contexte d’ascite récidivante), on demande toujours:

- Biochimie = taux de protides dans l’ascite < 25 g/L 

- Bactériologie = un tube standard + hémocultures = asciculture
 —> Toujours éliminer une infection du liquide d’ascite 

- Cytologie = rechercher des cellules anormales : uniquement en cas de 1ère poussée

Le diagnostic d’infection de liquide d’ascite retrouve des PNN > 250/mm3 avec un germe sur les hémocultures.  Un contrôle à 48h sera réalisé par ponction, si les PNN diminuent de > 50%, c’est que le traitement antibiotique est efficace.

Vous pouvez retrouver une vidéo pour avoir le déroulement en image : http://hepatoweb.com/Film_Ponction_ascite.php  😁
D’ailleurs, ce site regroupe pas mal de vidéos de gestes en gastro-entérologie si vous êtes intéressés.

5)    Traitement à instaurer

- Avant le transfert en gastro entérologie, la seule priorité est la prescription d’antibiotique si suspicion d’infection de liquide d’ascite ou d’infection. A instaurer après tous les prélèvements +++ :  CLAFORAN 4g/j pendant 5 jours 
En cas d’infection de liquide d’ascite, un remplissage en albumine à la dose de 1,5g /kg le premier jour, puis 1g/kg le troisième jour.
- En cas de fonction rénale correcte, un traitement diurétique peut être initié par du Lasilix à la dose de 40 mg.  L’aldactone pourra être débutée en gastroentérologie.
- Si le patient est en insuffisance rénale, éviter le remplissage de SSI ou alors sur une courte durée (6h) pour éviter d’aggraver l’ascite et suspendre les traitements néphrotoxiques.


Voilà pour la prise en charge de la décompensation oedémato-ascitique. Si vous souhaitez traiter les autres complications sur un court article, faites en nous part J

Le saviez vous ? Avec environ 15 000 décès par an, la cirrhose tue plus que les accidents de la voie publique.

A bientôt pour un nouvel article !

Docteur M.


Sources :
Collège des enseignants d’hépato-gastro-entérologie


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