Prise en charge de la personne âgée fragile aux urgences

La gériatrie fait partie intégrante de la prise en charge aux urgences avec une moyenne de 20% quotidien de passages de patients âgés de 75 ans et plus. La grande majorité d’entre eux sont des personnes fragiles (80%) et particulièrement à risque d’aggravation ou de décès. La prise en charge d’un patient gériatrique est toujours compliquée car comme une de mes ancienne chef de gériatrie me le disait toujours « Le vieux est fourbe ». La prise en charge de l’âgé est complexe et nécessite d’être systématique
Quelques petits conseils basiques pour prendre en charge au mieux le patient âgé fragile ou comment survivre face à l’arrivée d’un vieux aux urgences sans prendre peur. 

1) La clinique avant tout :

Même si votre patient est mutique, confus, agité, il faut avant tout avoir un œil global sur la situation. 

Constantes vitales : 

Recherche d’une hypotension artérielle : Les patients âgés sont très fréquemment hypertendus, avec des PAM autour de 90 mmHg, chez ces patients une PAM <80 mmHg peut déjà être considérée comme un signe précoce de sepsis. 

Recherche d’une tachycardie : La tachycardie supérieure à 90 bpm est également un signe de gravité chez le patient âgé. En cas de l’absence de tachycardie il faut toujours rechercher la prise de traitements bêta bloqueurs qui peuvent masquer un état de choc sous-jacent. 

Recherche d’une désaturation : Une SaO2 < 92% est un signe de gravité chez le patient âgé qu'il faut bien-sûr mettre en relation avec les antécédents personnels du patient. Dans tous le cas, il faut toujours se souvenir que l’hypoxie tue plus que l’hypercapnie. Donc s’il existe des signes de détresse respiratoire débuter d’emblée l’oxygénothérapie sans avoir peur de l’hypercapnie. Petit rappel : Une saturation ne veut rien dire sans une fréquence respiratoire associée : Toujours estimer la fréquence respiratoire. 

Prise de la température : Confusion, rétention aiguë d’urine ou encore chute sont très fréquemment associés au sepsis chez la personne âgée. Le sepsis sans fièvre étant fréquent du fait d’un hypométabolisme de base. L’hyper ou l’hypothermie sont toujours des signes de gravité chez le patient âgé. 

Signes de choc : 

Recherche de signes d’hypoperfusion périphérique : on déshabille systématiquement tous les patients âgés sans exception. C’est l’occasion de ne pas passer à côté d’un érésipèle, d’une ischémie aiguë de membre ou d’ulcères surinfectés. Veillez à rechercher des marbrures, un allongement du temps de recoloration cutanée ou une froideur des extrémités. 

Recherche de sueurs : 

Devant un patient confus ou ne pouvant s’exprimer la recherche de sueurs est essentielle et constitue un élément objectif de sensation douloureuse. De même les sueurs sont un élément de gravité en cas de dyspnée évoquant une franche hypoxie ou une hypercapnie sévère. 


2) Le contexte et l’environnement :

Toujours privilégier l’interrogatoire direct du patient. Cela permet de façon simple de vérifier l’absence de troubles cognitifs ou de confusion : Où habitez vous ? Habitez vous seul ? Avez-vous des enfants ? Profitez-en pour demander a votre patient la date du jour et le nom du Président de la République pour rechercher des troubles cognitifs sous-jacents. 

Si le patient parait cohérent et orienté poursuivez l’interrogatoire avec lui, s’il ne vous parait pas fiable ou que l’interrogatoire est impossible l’enquête de police commence

Une anecdote : Une charmante dame de 80 ans, démence vasculaire connue, consulte dans un contexte de chute à domicile non compliquée. Elle m’explique qu’elle s’est pris les pieds dans la laisse de son chien en allant le promener comme elle le fait tous les jours. Que son mari s’occupe bien d’elle en lui mijotant des petits plats délicieux. Bon parait, j’appelle à domicile pour prévenir du retour de la patiente après un bilan tout à fait rassurant. Pas de réponse. J’appelle donc le numéro de sa personne de confiance : sa fille. Résultats des courses : Madame n’a ni chien, ni mari. En effet : son chien est mort depuis 10 ans et son mari depuis 5 ans... Elle vit seule et chute quotidiennement. Pire encore, elle a failli mettre le feu à son domicile la veille… Morale de l’histoire : la personne âgée est fourbe, vraiment fourbe. 

Dans les éléments a absolument rechercher : 

- Le lieu de résidence : EHPAD, foyer logement, domicile 
- La présence d’aides à domicile : IDE, auxiliaire de vie, portage des repas, télé-alarme 
- La présence d’un entourage proche : conjoint, enfants, petits-enfants, neveux, nièces...
- L’existence de mesures de protection juridique 
- Le score ADL : hygiène, habillage , toilette, locomotion, continence, repas 
- La présence de troubles cognitifs pré-existants 
- La notion de chutes récidivantes 
- La notion d’hospitalisation récente 
- L’ensemble des antécédents et des traitements et en particulier les changements récents
- La description précise de l'anamnèse sur les derniers jours

L’ensemble de ces renseignements récupérés vous aurez beaucoup plus de facilité à savoir ou non si un patient peut retourner à domicile. De même, votre dossier sera beaucoup plus complet et le gériatre beaucoup plus enclin a hospitaliser le patient. 


3) Toujours penser iatrogénie :

Recherchez systématiquement sur l’ordonnance une polymédication. Une association iatrogène, une modification récente du traitement ou l’introduction d’un médicament à risque. 

Devant des chutes à répétition : Traitements hypotenseurs, Benzodiazépines, Opioïdes, Bradycardisants, Alphabloquants, Hypoglycémiants... 

Devant un syndrome confusionnel : Benzodiazépines, Opioïdes, Alphabloquants, Sérotoninergiques, Neuroleptiques... 

Devant une insuffisance rénale aiguë : Metformine (+++), Colchicine (+++), Inhibiteur de l’enzyme de conversion, Diurétiques... 

Devant une bradycardie : Surdosage en Bêta-bloquants, intoxication aux digitaliques... À noter : La cupule digitalique a l’ECG est un signe d’impregnation et non de surdosage tandis que les troubles conductifs et la bradycardie sont des signes de surdosage.


4) Savoir réaliser un bilan de chute :

La chute est une des causes principales de consultation aux urgences de la personne âgée. Elle peut être révélatrice de troubles sous-jacents. Le risque est la récidive avec survenue de complications pouvant entraîner la grabatérisation : fractures, syndrome post-chute,… 

Interrogatoire : 

• Questions portant sur les conséquences de la chute : 

- Y a-t-il eu un traumatisme physique ? 
- Le séjour au sol a-t-il dépassé une heure ? 
- La personne a-t-elle pu se relever seule après la chute ? 
- La personne a-t-elle pu se tenir debout sans aide après la chute ? 
- La personne a-t-elle peur de faire une nouvelle chute ? 

• Questions portant sur la pathologie responsable de la chute : 

- Y a-t-il eu un malaise et/ou une perte de connaissance au moment de la chute ? 
- Y a-t-il eu un déficit neurologique sensitivomoteur constitué ou transitoire ? 
- Y a-t-il eu un trouble de la conscience ? 
- Y a-t-il eu un vertige ? 
- Y a-t-il eu un état fébrile ou une pathologie infectieuse précédant la chute ? 
- Y a-t-il eu prise d'un médicament hypoglycémiant ? 

• Questions portant sur le risque et le terrain à risque de chute grave : 

- Y a-t-il eu une augmentation de la fréquence des chutes ces dernières semaines ? 
- La personne a-t-elle une ostéoporose sévère ? 
- La personne prend-elle un (ou des) médicament(s) anticoagulant(s) ? 
- La personne vit-elle seule ? 

Examen clinique :

- Rechercher des douleurs aiguës à la palpation du rachis, des côtes, des membres inférieurs, une impotence fonctionnelle et/ou une déformation d’un membre inférieur, un trouble de la conscience, et/ou un traumatisme de la face, et/ou une lacération cutanée de grande taille et/ou dépassant l’hypoderme 

- Examiner la capacité à maintenir une posture stable en position debout, en condition statique et dynamique, en évaluant la rétropulsion, l’appréhension à la station debout et la présence d'une rigidité oppositionnelle ou extrapyramidale axiale et/ou généralisée, évaluer la marche et l'équilibre 

Examens complémentaires : 

Ils doivent être orientés.

Quelques réflexes : 

- En cas une douleur aiguë et/ou une impotence fonctionnelle : Radiographies osseuses
- En cas de TC : Scanner cérébrale si prise d’anti-aggrégants ou d'anti-coagulants. 
- En cas de douleur du rachis cervical : Scanner du rachis au moindre doute. 
- En cas de station au sol > 1h : Ne pas oublier de doser les CPK. 
- En cas de malaise et/ou une perte de connaissance : Faire un ECG standard 12 dérivations. 
- En cas de déficit systématisé : IRM cérébrale < 4h30 suivant le début des symptômes. 

Recherche des facteurs prédisposant : 


Si vous voulez passer pour un pro' auprès du gériatre. 

- Âge ≥ 80 ans 
- Sexe féminin 
- ATCD de fractures traumatiques 
- Poly médication 
- Présence d'un trouble de la marche et/ou de l'équilibre
Dénutrition ( IMC < 21 kg/m²) 
- Recherche de perte de poids récente (≥ 5 % en 1 mois ou ≥ 10 % en 6 mois)
Arthrose des membres inférieurs et/ou du rachis 
Anomalie des pieds incluant les déformations des orteils et les durillons 
Troubles de la sensibilité des membres inférieurs 
Baisse de l'acuité visuelle 
- Syndrome dépressif 
Déclin cognitif : rechercher un déclin cognitif récent

Recherche de facteurs précipitants : 

                 Si vous voulez encore plus passer pour un pro' auprès du gériatre. 

Cardio-vasculaires : Rechercher les notions de malaise et/ou de perte de connaissance et rechercher une hypotension orthostatique 

Neurologiques : Rechercher l’existence d’un déficit neurologique sensitivomoteur de topographie vasculaire constitué ou transitoire, et d'une confusion mentale 

Vestibulaires : Rechercher la notion de vertige à l'interrogatoire et une latéro-déviation au test de Romberg 

Métaboliques : Rechercher une hyponatrémie, une hypoglycémie et la prise de médicaments hypoglycémiants 

Environnementaux : Examiner l'éclairage, l’encombrement et la configuration du lieu de vie, ainsi que le chaussage. 


5) Savoir réaliser un bilan de confusion : 

La présence d’une démence sous-jacente est un facteur de risque de confusion aiguë mais il ne faut pas confondre confusion/agitation aiguë avec démence. 

La confusion aiguë est définie comme un changement rapide du comportement d’un patient ou une inversion de son rythme nycthéméral. 

Présence des critères 1 et 2 + 3 ou 4 : 

1 - Caractère aigu et fluctuant (rupture avec état antérieur) 

2 - Inattention (distrait, difficultés à se concentrer….) 

3 - Pensée désorganisée ou incohérente (propos peu clairs, coq à l’âne…) 

4 - Troubles de la conscience

Recherche de facteurs prédisposants :

• Démographie (homme, âge > 65 ans) 
• Statut cognitif (troubles cognitifs, dépression, antécédent de confusion) 
• Statut fonctionnel (dépendance, chutes à répétitions…) 
• Troubles sensoriels (auditifs ou visuels) 
• Etat nutritif (déshydratation, malnutrition) 
• Toxiques (traitements, alcool) 
• Pathologies médicales (pathologie aiguë, insuffisance hépatique ou rénale, AVC, atteinte neurologique ou métabolique, traumatisme, immunosuppression…) 

Recherche de facteurs déclenchants :

Tout épisode aigu chez un patient fragile peut être à l’origine d’une confusion : 

• RAU, fécalome (bladder-scan) 
• Cardiovasculaire (SCA, insuffisance cardiaque,…) 
• Infectieux (urinaire, pneumo, cutané…) 
• Neurologique (AVC, AIT, hémorragie méningée ou intra-cérébrale, méningite, encéphalite…) 
• Métabolique (hypoxie, hypercapnie, anémie, déshydratation, dysnatrémie, hypo/hyperthermie, hypo/hyperglycémie, hypercalcémie, dysthyroidie, Insuffisance rénale aigue, insuffisance hépato cellulaire…) 
• Traumatique 
• Médicaments (hypnotiques sédatifs, morphiniques, anticholinergiques, poly-médication, fluoroquinolone…) 
• Toxiques (alcool, CO…) et sevrage (BZD et OH) 
• Environnemental (douleur, hospitalisation, cathéters, contention, stress…) 

6) Prise en charge globale :

Le traitement initial repose sur le traitement du facteur déclenchant. Il est important de limiter tout autre facteur déclenchant ou facteur aggravant : 

• Limiter le temps d’attente 
• Favoriser passage en lit d’hospitalisation au calme et la présence d’un accompagnant 
• Limiter les gestes invasifs ou douloureux (perfusions, sondes…) 
• La contention physique doit rester exceptionnelle 
• Le traitement médicamenteux est à but symptomatique et seulement en cas de nécessité absolue (mise en danger du patient, examen complémentaire nécessaire…). 
• La voie orale est préférable, les doses doivent être adaptées à la fonction rénale du patient (diminuer doses de moitié ou quart par rapport à un adulte sain) : 
Anxiolytique si anxiété prédominante :
o Oxazepam 10 mg per os (Seresta) ½ à 1cp 
o Alprazolam 0.25 mg per os (Xanax) ½ à 1cp 
o PAS D'HYDROXYZINE (Atarax) 
Antipsychotique si composante délirante prédominante :
o Halopéridol 0,5 mg à 1mg per os (5 à 10 gouttes de solution buvable) ou 1 à 2 mg en sous cutané (Haldol) 
o Tiapride 50 mg per os (10 gouttes de solution buvable) si agressivité physique (Tiapridal) 

6) Points a retenir :

1) Le tableau clinique de l’agé est souvent un tableau à bas bruit. Il faut néanmoins repérer rapidement toute défaillance et y remédier rapidement afin d’éviter la cascade gériatrique menant à la grabatérisation. 

2) Toujours rechercher et prendre en compte la douleur du patient agé. 

3) Veillez au passage le plus court possible du patient âgé aux urgences. Pour cela anticipez :

- Appel le plus rapidement possible de la famille ou de la structure d’hébergement.
- Examen clinique complet a la recherche d’une porte d’entrée infectieuse. 
- Examen complémentaires systématiques avec ECG a indications larges
- Recherche de complications propres a la personne âgée : fécalome, RAU, confusion 
- Evaluer systématiquement la marche si vous envisagez un retour a domicile 
- Appel des services d’hospitalisation pour anticiper la montée en service rapide

4) Ne passez pas a côté d’un saignement intra cranien, d’une RAU, d’un fécalome...

5) Ne jamais oublier la iatrogénie 

6) En cas de sepsis : 

- Débuter rapidement l'antibiothérapie dès la réalisaiton des prléèvements

- N'hésitez pas à recourir au remplissage vasculaire

7) Devant un épisode de stress aigu : chute / infection aigue / … associé a une decompensation cardiaque chez la femme agée évoquez systematiquement un Tako Tsubo : ECG, dosage des troponines +/- échogrpahie cardiaque.


Voilà, vous n'aurez plus peur des personnes âgées aux urgences !

Docteur S.

Sources :
https://www.has-sante.fr/jcms/c_793371/fr/evaluation-et-prise-en-charge-des-personnes-agees-faisant-des-chutes-repetees

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